Rapport sur les résultats du projet–pilote « Lutter contre les violences éducatives en Haïti et offrir des alternatives pédagogiques positives » mené de 2014 à 2016

Le projet a été mené en partenariat par l’Association Dire&Agir Suisse et le IEPENH (Initiative des Educateurs de l’Education Nouvelle en Haïti) et soutenu par Emida International.

Déroulement du projet-pilote

Le projet s’est déroulé sur une durée de trois ans, d’octobre 2014 à novembre 2016, dans la localité de Désarmes, commune de Verrettes, Artibonite, Haïti.

Le projet a engagé une action conjointe de deux associations partenaires, Dire&Agir de Suisse et IEPENH, basé à Verrettes, Haïti. Par ailleurs, Dire&Agir collabore également avec une autre association-partenaire de Désarmes, le CEFOPAC (Centre de formation et d’animation communautaire) pour les questions de violences dans le milieu familial.

Le projet a été soutenu financièrement par Emida International, qui a cru en notre action et que nous remercions de son soutien qui a permis à ce projet-pilote d’évoluer et de toucher un nombre croissant de personnes.

But

Le but commun qui anime les partenaires haïtiens et suisses est d’améliorer l’éducation des enfants par la formation des enseignants, notamment en identifiant et en diminuant les « violences éducatives », et en encadrant les familles dans leurs tâches éducatives pour promouvoir un développement sain et harmonieux des enfants.

Objectifs

  • Sensibiliser et former des enseignants et des responsables sociaux et institutionnels aux questions de violence en milieu scolaire, conjugal et familial
  • Imaginer et réaliser des actions de prévention de la violence et d’information
  • Coordination, supervision et échanges sur la sensibilisation aux questions de violence, assurée toute l’année par le coordinateur, Lorson Ovilmar, en Haïti
  • Formation des enseignants à une pédagogie active
  • Formation d’un réseau de réflexion, d’action et d’échanges dans la région
  • Transmission et diffusion de cette démarche dans tout le Département de l’Artibonite : organisation d’ateliers dans les villages, radio, théâtre, églises, associations etc…
  • Aide et supervision à la prise d’initiatives individuelles et collectives dans la lutte contre la violence et sa prévention en milieu scolaire et familial.

Activités mises en place dans le cadre du projet-pilote (2014-2016)

  • Séminaires (3 niveaux en 3 ans) par Dire&Agir en co-animation avec le coordinateur local pour former des animateurs spécialisés dans les questions de violence
  • Introduction du thème violence dans les séminaires de formation continue pour les enseignants organisés toute l’année par les intervenants du IEPENH
  • Production de matériel écrit en français et en créole, de manière à fournir des supports théoriques aux animateurs formés par Dire&Agir
  • Apports et animation par des intervenants bénévoles (retraités actifs) venus de Suisse avec Dire&Agir : séminaires et cours, coaching
  • Organisation de séminaires sur la violence intrafamiliale et de genre par Dire&Agir avec le CEFOPAC
  • Pièces de théâtre didactiques créées par VWA Dezam pour prévenir la violence

Le public-cible

Le public-cible de l’Association Dire&Agir est constitué d’enseignants haïtiens de tous niveaux. Il faut savoir qu’en Haïti les enseignants n’ont aucune formation pédagogique dans 90% des cas. Beaucoup de ceux qui adhèrent au IEPENH sont en formation continue ou à l’Ecole Normale en cours d’emploi. Ils doivent enseigner en français dans les écoles et un nombre important d’entre eux ne maîtrise pas très bien cette langue. C’est pourquoi les séminaires et ateliers se font en bilingue français-créole.

Coordination en Haïti

Les séminaires de Dire&Agir, qui ont lieu chaque année pendant un mois en automne ont été organisés par M. Lorson Ovilmar, coordinateur de Dire&Agir en Haïti et membre du IEPENH et par M. Yonel Fleurissaint, coordinateur du CEFOPAC.

Commentaires

Les trois niveaux de formation1 sur les « violences éducatives »2 ont permis de former des enseignants capables de devenir des animateurs et des transmetteurs sur les questions de violence vis-à-vis de leurs pairs, dans les écoles, les églises, les associations et auprès des parents d’élèves.

Le IEPENH développe de son côté des formations spécifiques au niveau pédagogique, qui ont cours depuis plusieurs années et qui s’agrandissent avec la tenue de deux grands séminaires pour enseignants en 2015 et 2016 (100 et 170 personnes), par exemple sur le thème de la citoyenneté en 2016 où le thème de la violence a été bien représenté.

Une première volée d’enseignants a achevé les trois niveaux de formation en 2016, et plusieurs des enseignants présents ont déjà commencé à réaliser des projets dans leur zone dont nous avons pu voir un exemple actif et bien vivant à LaChapelle3. Plusieurs de ces enseignants sont déjà nos assistants qui exercent leurs compétences en animation lors des séminaires de base. Nous leur avons confié la responsabilité d’organiser le séminaire de base 2017, que nous superviserons.

Un nombre croissant d’enseignants et d’enseignants en formation à l’Ecole Normale est sensibilisé aux questions de violence et à la manière de les aborder, ce qui crée de bien meilleures conditions à la coopération et au développement d’un réseau de collègues solidaires et conscients des effets des violences tels que le fouet et les punitions corporelles – encore très couramment pratiquées – sur le comportement (traumatismes répétés et sidération4) et la santé des enfants. Le cercle vicieux des violences subies (par pratiquement tous les adultes que nous voyons) et exercées à leur tour sur les enfants peut ainsi être interrompu et une conscience des besoins des enfants plus à l’écoute des nécessités de leur développement peut être instaurée, peu à peu.

Indicateurs et outils d’évaluation concernant le développement du projet-pilote

  1. Nombre de personnes sensibilisées aux problèmes de violences
  2. Nombre de personnes ayant achevé la formation, étant aptes à la transmission
  3. Satisfaction des participant-e-s aux séminaires, rapportée par les rapports réguliers du coordinateur en Haïti, M. Lorson Ovilmar5, sur la satisfaction rencontrée par les participants, leur implication dans des projets
  4. Evaluation orale des participant-e-s aux séminaires de Dire&Agir
  5. Nombre d’animations, de rencontres et de séminaires organisés par le coordinateur et les enseignants formés, en dehors de la période de présence de Dire&Agir
  6. Initiatives prises par des personnes ou des petits groupes pour la prévention et la diminution de la violence dans la société civile
  7. Contacts engagés par les enseignants avec les parents d’élèves et séances organisées
  8. Regards extérieurs sur les activités déjà organisées6

Commentaires

Nombre de personnes touchées par les séminaires ou séances d’information

2014 : 17 enseignants ont suivi un séminaire de base sur les violences éducatives (18h) avec Dire&Agir et le coordinateur, Lorson Ovilmar (présent à tous les séminaires comme co-animateur). Deux groupes d’étudiants de l’Ecole Normale Célestin Freinet ont été informés et le groupe des inspecteurs scolaires (BDS) de la commune de Verrettes a eu une matinée d’information.

2015 : 45 enseignants ont suivi les séminaires de niveau I et II (28h au total), et 18 jeunes gens issus d’associations locales ont suivi le séminaire sur les relations garçons-filles organisé par le CEFOPAC (16h), avec la présence de 4 assistants du CEFOPAC . Plusieurs séances d’information ont eu lieu avec les étudiants de l’Ecole Normale.

2016: 55 enseignants ont participé aux séminaires de niveau I, II et III (de 16h chacun) avec la présence de 2 assistantes du IEPENH et une observatrice. La première volée a achevé le niveau III. Le séminaire du CEFOPAC avec les intervenants de D&A a rassemblé 18 participant-e-s (personnes-ressources avec responsabilités) dont une majorité de femmes, sur les violences domestiques, avec la présence de 4 assistants du CEFOPAC (les mêmes qu’en 2015).

Nos coordinateurs évaluent à (chiffre à donner par CEFOPC et IEPENH) le nombre de personnes formées aptes à la transmission, actuellement.

Pour le IEPENH, actuellement, mis à part des formateurs qui sont au nombre de 4, nous avons 13 enseignant-e-s qui vont achever bientôt le parcours de formateurs en formation. Toutes ces personnes là sont capables de mener correctement des ateliers sur la violence. D’ailleurs ils l’ont déjà fait preuve dans nos différents séminaires

A noter que, dès les séminaires de base, certaines personnes ont envie de transmettre leurs découvertes à d’autres, à commencer par leur propre foyer, avec leurs propres enfants. Les compétences s’accroissent avec les séminaires suivis et aussi, en fonction des relations qui s’instaurent avec des collègues sur le lieu de travail (plusieurs enseignants voulant déposer le fouet dans le même établissement scolaire ont un impact plus important sur la direction et les parents), dans leur église, dans leur village etc.

Formation et évolution des assistants lors des séminaires de Dire&Agir et CEFOPAC

Les deux séminaires de 2015 et 2016 sur le genre et la violence (rapport filles-garçons et violences au foyer) ont été menés par les intervenants de Dire&Agir et 4 assistants, qui avaient, chacun, participé aux séminaires et ateliers depuis 2011. Il s’agit de 4 hommes, dont 3 âgés d’une vingtaine d’année, étudiants, et le 4ème qui est père de famille et actif dans de nombreux domaines. Les assistants présentent des éléments théoriques, assurent la traduction simultanée en créole des notions abordées (types de violence, écoute active, traumatisme, effets sur la santé des enfants etc.) et leur transcription. Ils animent certains débats, participent à la conception d’exercices et rendent les intervenants attentifs aux difficultés éventuelles de compréhension de certains participants. Certains assistants font aussi partie d’un groupe de théâtre didactique VWA Dezam et participent à l’élargissement de la compréhension de la violence par le biais du théâtre. Ils sont évalués après chaque séminaire. Un accompagnement par deux assistantes, enseignantes chevronnées déjà actives dans la formation continue du IEPENH (et une observatrice) a commencé (séminaires sur 3 niveaux) dans le but d’avoir des animatrices spécialisées dans les questions de violence, avec les enseignants et aussi les parents d’élèves et les directions d’écoles.

Rapports du coordinateur en Haïti, M. Lorson Ovilmar

Les rapports de M. Lorson Ovilmar témoignent d’un vif désir des enseignants à se former sur les questions de violence et il nous rend maintenant attentifs à la nécessité de former les enseignants au dialogue avec les parents d’élèves et avec la direction des écoles (qui sont pour la plupart des institutions privées). Il fait également un appel pour financer des ateliers et du matériel. Etant responsable de choisir les participant-e-s aux séminaires, il entretient une liste d’attente qui s’allonge tous les ans, vu que les gens sont mieux informés. Le moment vient de confier l’organisation des séminaires de niveau I aux personnes formées, avec une supervision par les intervenants de Dire&Agir..

Evaluation orale des participant-e-s aux séminaires de Dire&Agir (5)

Les évaluations s’enrichissent avec les années, l’habitude de s’exprimer en son nom étant prise. Les enseignants ont envie de partager et de diffuser ce qu’ils ont appris et s’émerveillent de la capacité du groupe à être intelligent. Ils parlent de leur responsabilité à diffuser ce qu’ils ont expérimenté et savent sur la violence. Ils prennent conscience du fait que l’enfant est aussi une personne. Ils sont avides de lectures, d’informations : Dire&Agir prend l’engagement de leur fournir les documents écrits sur place (a été fait pour le séminaire I et sur les violences domestiques). Les participants aux séminaires soulignent aussi à quel point ils sont fiers de participer activement au contenu de ceux-ci et qu’ils sont personnellement soulagés de déposer leurs souffrances et d’échanger avec leurs pairs. L’apprentissage de l’écoute et du dialogue démocratique leur paraît aller de pair avec la décision de « déposer le fouet ». Ils ont besoin également d’une pédagogie adaptée à cette nouvelle manière de faire.

Nombre d’animations de rencontres par le coordinateur en dehors de la période de présence de Dire&Agir (6)

2014 (aux mois de novembre et décembre 2014, la coordination a fait 2 animations de rencontre

2015 ( la coordination a fait 11 rencontres ( ateliers et conférences)

2016 (pour l’année 2016, 6 rencontres (ateliers et conférences)

NB. Dans les rencontres mensuelles et dans grands séminaires d’IEPENH qui se réalisent au moins 3 fois généralement, il y a toujours quelque chose relatif à la violence.

Initiatives prises par des personnes ou des petits groupes pour diffuser l’information et favoriser la réflexion concernant les questions de violence (8,9)

L’information sur les questions de violence et les effets sur la santé des enfants devrait être diffusé aussi dans les séminaires de formation continue du IEPENH : affaire à suivre.

Nous avons pu voir de nos propres yeux un exemple abouti d’atelier dirigé par des participants (juriste et animateur social/enseignant) motivé par la violence qui règne dans des villages isolés de la zone de LaChapelle. Les méthodes participatives étaient respectées, gens s’exprimaient librement, les documents étaient traduits en créole, bref nous avons été impressionnés par (à la fois) la rigueur et la spontanéité dans lesquelles se déroulaient les échanges entre des gens qui faisaient des récits de violences subies de manière récurrente. A notre avis, ces initiatives doivent absolument être soutenues et encouragées. Pour le moment, peu d’actions ont été réellement documentées, même si des choses se font.

Création d’un réseau de réflexion et de diffusion de « nouvelles idées » dans la société 

Cette idée a été formulée à la fois par les enseignants concernant les violences éducatives en milieu scolaire et renvoie au fait que, dans les écoles privées (la majorité), les parents ont tendance à retirer leur enfant d’un enseignement qui n’utiliserait pas les punitions corporelles. Cela veut dire que les bonnes pratiques ne peuvent pas se limiter aux enseignants et qu’il faudrait, selon les participant-e-s, élargir l’action aux parents et aux familles en général. Un début de discussion a été mené sur la manière de diffuser de nouvelles idées : à la fois la lutte contre la violence, mais aussi la promotion d’une pédagogie respectueuse de l’enfant et de ses besoins et de moyens pour les parents.

Contacts engagés par les enseignants avec les parents d’élèves et organisation de « Portes Ouvertes » dans les écoles

Année academique 2016-2017

Nombre Quand Comment
4 portes ouvertes Ecole CESLA Liancourt Septembre Décembre Février
sous l’invitation de l’école et de l’enseignant des parents sont venus passer un moment dans la classe pour suivre les activités. A la fin, ils engagent un entretien avec l’enseignant – e si nécessaire
10 rencontres de formation des parents
Ecole La Providence Verrettes, CESLA (Liancourt Eglise de Damier Deschapelle
11 Novembre Decembre 16 février 1er Lundi de chaque mois de septembre à nos jours Decem Les gens sont invites à participer gratuitement à la formation. Les formateurs préparent et donnent la formation de façon bénévole
Rencontre Verrettes (Moger) hebdomadaire Avec les gens du quartier de Dulia

NB. Il y a d’autre

Regards extérieurs et engagements bénévoles

Les intervenants de Dire&Agir, Sylvie Uhlig Schwaar et Alain Schwaar, sont arrivés en 2016, accompagnés par deux amis retraités : un ancien volontaire à Désarmes dans les années nonante et une enseignant à la retraite, qui a assisté aux séminaires Dire&Agir et a déjà lui-même donné quelques cours de théâtre et de psychologie à l’Ecole Normale. Leurs regards ont compté et leur apport a été plébiscité. (cf p. 3). En 2017, les intervenants de Dire&Agir viendront avec les deux amis et deux personnes supplémentaires, dont un retraité directeur d’une école professionnelle qui s’engage d’ores et déjà pour des cours de mathématiques appliquées et une future volontaire en Haïti dans le domaine éducatif et social qui vient observer l’approche de Dire&Agir.

Cette diversification de compétences augmente les effets des actions déjà entreprises et témoigne d’un élargissement et d’un développement qui repose entièrement sur un engagement pour l’heure totalement bénévole de ces nouvelles personnes, dont les compétences sont proposées aux partenaires haïtiens, qui organisent ensuite des séminaires, cours ou séances en fonction de leurs besoins.

Financement

Les problèmes dont témoigne le coordinateur de Dire&Agir en Haïti concernant l’organisation des rencontres régulières pendant l’année sont les suivants: les gens ne répondent pas toujours à temps aux invitations, ils se démotivent de venir participer aux groupes de réflexion, ils n’ont pas de moyens financiers pour contribuer à la nourriture, au matériel, aux frais de transport. La coordination peine à faire avancer le travail faute de moyens suffisants.

Les partenaires haïtiens du IEPENH et du CEFOPAC placent les priorités actuellement sur :

Priorités d’IEPENH

  • Accompagner le plus possible les enseignants des communes Verrettes et Lachapelle en en leur permettant d’intégrer les méthodes et les techniques pour accomplir avec efficacité leur travail.
  • Promouvoir la culture de paix en enseignant les valeurs comme :
  • L’amour
  • Le respect
  • Le vivre ensemble
  • La tolérance
  • L’esprit critique, etc.
  • L’éducation à la citoyenneté
  • La lutte contre la violence éducative

Sylvie Uhlig Schwaar et Alain Schwaar. La Chaux-de-Fonds, le 8 février 2016.

Notes

1 Cf rapport d’activités 2016 de l’Association Dire&Agir

2 Les violences sont souvent encore pensées comme étant indispensables pour motiver les enfants à apprendre

3 Petite ville d’Artibonite dans laquelle un groupe d’animateurs forment des responsables de la région à une meilleure gestion des problèmes endémiques de violences. Demande adressée à D&A à disposition.

4 Cf travaux de la Dresse Muriel Salmona

5 Rapports 2016 de Lorson Ovilmar

6 Retour d’Haïti par Michel Schaffter, accompagnant suisse à Désarmes

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